Ça veut dire quoi chercher du sens au travail en 2022 ? (HelloWorkplace)

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Interview par HelloWorkplace par Maïté Hellio, publié le 23 juin 2022

Que recherchent vos collaborateurs pour s’épanouir au travail et comment répondre à leur quête de sens ?

Qu’entend-on par quête de « sens » au travail ?

Stéphanie Lehuger : Le « sens » désigne à la fois :

  • la signification de notre travail, c’est-à-dire pourquoi on le fait. Dans cette acception du mot, on cherche avant tout un travail qui est aligné avec nos valeurs.
  • la direction, c’est-à-dire pour quoi on fait notre travail. Dans ce cas, ce qui donne du sens à notre travail, c’est le résultat de notre action.

Aucune de ces interprétations n’a plus de légitimité qu’une autre. Un travail qui a du sens pour nous recouvre d’ailleurs souvent toutes ces dimensions : on sait pourquoi on le fait, on s’y sent bien et on a le sentiment de faire quelque chose d’utile.

C’est quoi un métier qui a du sens en 2022 ?

S.L : Ce serait formidable d’avoir une liste de métiers qui ont du sens et de pouvoir puiser à loisir dedans mais ce n’est pas si simple et si objectif ! On constate que de nombreux travailleurs en proie à une crise de sens au travail se tournent vers des activités à but non lucratif ou des métiers du care.

Mais le sens est propre à chaque individu, sa définition est très personnelle. Si on se place du côté du ressenti, certains vont se sentir bien dans un environnement formel, cadré, quand d’autres vont se sentir plus heureux dans un univers déstructuré, très créatif.

Si on s’intéresse à la signification de notre travail, certains vont vouloir travailler dans le secteur de l’écologie, quand d’autres vont s’orienter vers l’enseignement ou la santé, en fonction de leur appétence et de leur sensibilité. Ça nécessite un travail en amont sur soi pour trouver notre propre définition du sens au travail. Ce n’est pas toujours facile, car on peut être influencés par des injonctions de notre entourage ou des lectures, mais le plus efficace est de commencer par identifier nos valeurs, ce qui a du sens pour nous.

S.L :

 

On peut l’atteindre, et heureusement ! Trouver du sens à son travail est à la portée de tous, de l’enseignant qui aime transmettre son savoir aux enfants, au travailleur d’une start up qui révolutionne une industrie pour rendre service aux gens. Il n’est pas évident de trouver un sens profond à tous les métiers. Même si on peut toujours intellectuellement trouver du sens à ce que l’on fait, ça ne suffit pas, il faut avant tout que ça vibre en nous ! C’est donc toujours très subjectif le sens qu’on attribue à notre travail.

Que peuvent faire les employeurs pour injecter du sens au travail ?

S.L

: Ils doivent d’abord faire attention à la concordance entre le candidat et l’entreprise. Parfois un recruteur a très envie d’embaucher un candidat parce qu’il coche les bonnes cases : expérience, compétences… mais il doit aussi être à l’écoute de la personne. S’il estime que le candidat ne se trouvera pas à sa place dans l’entreprise, parce qu’il n’épouse pas ses valeurs, mieux vaut ne pas le recruter.

Ensuite, pour trouver du sens à ce que l’on fait, on doit pouvoir se dire qu’on a un impact positif sur le monde. Certaines entreprises dégagent du temps de travail pour que leurs salariés puissent faire du bénévolat dans des associations ou les font participer au choix des projets que l’entreprise va soutenir financièrement, au travers de sa fondation.

Plus on peut visualiser l’impact de notre travail, plus il est porteur de sens. Si le travail d’un salarié est détaché du résultat, très théorique, au cœur d’un long process tayloriste, c’est extrêmement difficile pour lui de mesurer l’impact de son travail. Une bonne idée est de fonctionner par projets, sur lesquels de petites équipes travaillent de A à Z.

S.L :

 

Je ne suis pas vraiment d’accord avec eux. Je ne pense pas qu’une personne puisse et doive être en charge du bonheur d’une autre personne, à part les parents pour leur nouveau-né. Malgré tout, lorsqu’on s’occupe d’êtres humains, c’est une injonction éthique de faire en sorte que ces personnes se sentent bien. Pour tout ce qui touche au travail, les RH sont responsables du bien-être de leurs collaborateurs. En améliorant ce bien-être, elles contribuent à leur bonheur global ou, a minima, elles font en sorte de ne pas le dégrader.

Quelles doctrines philosophiques peuvent nous aider à mieux appréhender le monde du travail tel qu’il est aujourd’hui ?

S.L : Dans La Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt distingue le travail, qui consiste à produire des biens consommés immédiatement et qu’il faut reproduire dans la foulée, de l’œuvre, qui dure. Selon elle, le travail ne comble pas l’individu, qui tire plus de satisfaction à créer une œuvre pérenne. Les employeurs peuvent en tirer un enseignement : mieux vaut ne pas confier à ses salariés que des tâches dont les résultats se périment rapidement, comme des rapports hebdomadaires à recommencer encore et toujours, et qui pourraient être réalisées par n’importe quel collaborateur. Si cela est possible, il faut leur donner aussi des missions dont les effets vont perdurer, ce qui est plus gratifiant.

De son côté, Hegel souligne l’importance pour un être humain de voir son impact sur le monde et de pouvoir transformer le monde. Parce que transformer le monde permet de prendre conscience de soi. D’où l’importance que chaque collaborateur perçoive le rôle qu’il joue dans le développement de l’entreprise.

Enfin, dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche nous invite à penser par nous-mêmes. Il estimerait, par exemple, qu’il ne faut pas suivre les injonctions que l’on trouve dans les livres de management comme des « moutons ». Aucune règle ne peut fonctionner pour tout le monde, il faut être créatif. Les entreprises ne doivent pas chercher à reproduire à la lettre les recettes qui ont fonctionné dans d’autres entreprises mais inventer les leur, en accord avec leurs valeurs !